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La coiffe Bressane, jadis « carte d’identité » sociale

Par Habib Essanhi
Le 07/05/2023 - 08h00

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Apparue à la fin du Moyen Âge et portée jusqu’aux années 1940, la coiffe connaît son apogée entre « 1880 et 1890 ». À cette période, « toutes les femmes de la Bresse portaient la coiffe ». Si aujourd’hui elle constitue un objet de musée, de famille ou de collection de passionnés, la coiffe bressane fut l’emblème de l’identité bressane. Focus sur la « carte d’identité » sociale des Bressanes autrefois.

Bourg, une ville en avance sur son temps

Au XVIIIe siècle, avant même les débuts de la révolution industrielle, la Bresse, bénéficiant de sa proximité avec Lyon, possède déjà une « industrie textile florissante », notamment à Bourg et Nantua avec le coton, à Pont-de-Veyle avec la soie. L’artisanat de tissus ainsi que l’installation de manufactures ouvrent de nouvelles perspectives aux Bressans, en particulier dans les tenues vestimentaires. Durant cette époque, le préfet Bossi, auteur des Statistiques de l’Ain, relève déjà des disparités régionales sur le plan vestimentaire, en fonction de la spécialité de chaque « pays » dans l’industrie du textile.

La Bresse, une terre de « beauté »…

Dans son ouvrage Les bords de la Saône, Kaufmann raconte une scène au cours de laquelle Napoléon III, lors d’une escale à Mâcon en 1860, où la « délégation de jeunes filles en costumes du pays » s’approche de l’empereur pour le saluer, remarque, pour son « exceptionnelle beauté », celle qui fut surnommée « La Belle Bressanne », madame Neveu.

…Et de raffinement !

Avant la Révolution, l’influence des Bressanes se fait sentir jusque dans la cour de France. Ainsi, « la délicate toilette d’une Bressane (…) inspira une tenue de bal costumé à Marie-Antoinette » relate Thomas-Paul-Philibert Le Duc, petit-fils de Thomas Riboud. Quelques années plus tard, Francis Wey renchérit à propos de la Bresse : « peu de provinces françaises possèdent des jeunes filles aussi bien costumées ». Dans Voyage pittoresque et historique à Lyon, aux environs, sur les rives de la Saône et du Rhône, Fortis vante « la finesse des coiffes » des Bressanes : « au-dessous du chapeau des Bressanes est une petite coiffe en toile fine ou en mousseline garnie de dentelles, placées très en arrière ».

Le port de la coiffe bressane

Vers la fin du Moyen Âge, dans les campagnes françaises, les femmes portent, sous leur chapeau, « des bonnets de lingerie (…) en chanvre ou en lin, à même la chevelure », notamment en Bresse. En témoigne la « plus ancienne représentation d’une paysanne bressane connue à ce jour », recensée par le dépôt légal de la BNF (Bibliothèque nationale de France). Il s’agit de la Rusticana Bressana, rendu publique en 1530 et associée au nom de Joos Bosscher. La tradition ne change guère au cours des siècles qui suivent. En 1779, le père Joly raconte : « du côté de la Bresse (…), les femmes ne se couvrent la tête que d’un petit béguin, ajoutant un petit chapeau détroussé qu’elles ôtent à l’église ».

Son origine

La tradition judéo-chrétienne assimile la chevelure à la nudité. Elle est « considérée avec crainte, en raison de la force magique et du pouvoir ensorceleur qui lui sont attribués. » D’où la volonté de « l’orner (…) d’une coiffe, d’un bonnet ou d’un voile (…).

Par des éléments de parure très codifiés », la coiffe donnait des indications sur l’environnement de la personne qui la portait. Elle révélait ainsi sa situation matrimoniale, son origine géographique et son niveau de richesse.

À chaque « pays » sa coiffe

Vers la fin du XIXe siècle, les villages de Bresse se caractérisent par les coiffes. Presque chaque « pays » possède son propre modèle, « plus ou moins éloigné de (celui) du village voisin ». Les coiffes se différencient notamment par la « forme du fond ». Le fond de la coiffe de la Bresse bressane (Bourg, Marboz, Montrevel, Viriat, Vonnas notamment) est « arrondi » et emmitoufle la chevelure. Celui de la coiffe de Manziat voile uniquement le haut de la tête. Le fond de la coiffe de Coligny, de Courmangoux, d’Étrez et de Saint-Amour est aplati (d’où son surnom de « cul-plat »…). Cependant, vers 1900, « la coiffe de la Bresse bressane se généralise ».

Une coiffe pour toutes les étapes de la vie

En Bresse bressane, le bonnet d’enfant est porté indifféremment par les filles et les garçons jusqu’à la première communion. Ce rite de passage marque la fin de l’enfance et l’entrée dans l’adolescence.

Désormais et toute sa vie durant, la jeune femme se couvre les cheveux d’une coiffe, laquelle change en fonction de sa situation matrimoniale. À l’adolescence, « la coiffe était simple » avec une bride (attache qui retient la coiffe sous le menton) blanche. Ensuite, la jeune femme accède à une coiffe plus « élaborée avec un fond souvent brodé en couronne, des rangs de dentelles supplémentaires et une bride de soie rouge ». Le rouge indique que la fille n’est pas mariée.

Puis, au premier jour de mariage, la bride rouge de la coiffe disparaît au profit d’une bride de dentelle, portée également par les femmes qui ont eu un enfant hors mariage ou celles qui ont passé l’âge de se marier : « 25 ans »… En cas de deuil, la bride arbore un noir de circonstance.

La coiffe, outil de distinction sociale

On distingue la coiffe de sortie de la coiffe du quotidien. En effet, pour les fêtes ou d’autres occasions, les Bressanes portent des coiffes plus élaborées. Par ses finitions et son degré de broderie, la coiffe renseigne sur la situation sociale de celle qui la porte. Cependant, le nombre de rangs de dentelles constitue sans doute le critère qui révèle le mieux le niveau de richesse. Ainsi, une bride à cinq rangs atteste de « l’aisance financière de sa propriétaire et par conséquent du statut social de la famille. »

Une extinction progressive

Très prisée entre 1880 et 1890, la coiffe disparaît progressivement des bourgs au profit du chignon et du chapeau, au début du XXe siècle. La mode parisienne gagne ensuite peu à peu les campagnes de Bresse. Selon Prosper Convert, la dernière coiffe de jeunes filles cesse d’être utilisée en 1920 à Marboz et en 1921 à Treffort. Celle portée par les femmes mariées et plus âgées perdure jusqu’à la fin des années 1930, notamment à Viriat et à Montrevel. Ainsi en 1910, on peut voir dans les marchés de Bresse « des dames en chapeaux (…), en chignons ou en coiffes ». En 1960, il se trouve encore des réfractaires à la mode parisienne pour porter la coiffe.

De la réalisation à l’entretien

Avant d’arriver sur la tête de la femme bressane, la coiffe exigeait de multiples compétences : choix du tissu, couture, broderie… La plus « spectaculaire » d’entre elles fut sans conteste le repassage. De ce dernier dépendait l’élégance de la Bressane : il lui donnait « sa forme définitive », son maintien et sa distinction.

Le métier de repasseuse

La subtilité du métier passait par une solide formation auprès d’une repasseuse professionnelle, issue du même village voire de la même famille. Préparée, la jeune repasseuse aménageait ensuite dans son domicile l’atelier de repassage, où elle recevait ses clientes. L’abandon de la coiffe provoqua l’épuisement du métier. Selon la célèbre anecdote, « une vieille femme de Treffort envoyait repasser sa coiffe à Paris, où la dernière repasseuse de ce type de coiffe était partie habiter ».

Sources

Traditions des pays de l’Ain. Textes recueillis par Germain Forest, éditions Curandera, 1991.
Coiffes. Entre Bresse et Bourgogne. Carole Larché-Millon et Romain Bourgeois, éditions La Taillanderie, 2006.

Photos

Archives municipales de Bourg-en-Bresse